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Le modèle des fonctions tutorales et des responsabilités clés propose un cadre structurant pour réfléchir un service de formation à distance et favoriser la réussite des apprenants. Après avoir soutenu l’appropriation du modèle par les différents acteurs de la formation à distance (FAD), l’accompagnement du RÉCIT FAD a muté. Il adopte principalement une posture tournée vers l’offre de contextes et d’espaces facilitant les échanges et le partage entre acteurs ou équipes de différents milieux. Pourquoi un tel changement ? De quelle manière cette adaptation met-elle l’intelligence collective au service de l’action concrète dans chaque milieu ? C’est justement l’objet de cet article. 

Un nouveau variant pour notre accompagnement

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Préambule

Le modèle des fonctions tutorales utilisé par les équipes de FAD pour réfléchir leur service brise le travail en silo grâce à une démarche structurée de collaboration interprofessionnelle. Comment nos ateliers peuvent-ils mieux accompagner les acteurs scolaires dans ce processus ? Comment proposer des sujets qui soient pertinents pour chacun ? Comment favoriser chez tous l’engagement, la concertation et le réinvestissement ? Comment les aider à parfaire leurs compétences collaboratives ? Ces questions et les pistes de solutions possibles ne sont pas exclusives à la FAD. Elles relèvent d’un questionnement plus général sur notre accompagnement de conseiller pédagogique dans un contexte de transformation majeure des milieux scolaires vers une éducation inclusive.

C’est avec la volonté de comprendre cette transformation et le changement de paradigme collaboratif qui semble venir avec elle que le texte commence par explorer certaines voies historiques et philosophiques un peu inhabituelles. Les exemples et enseignements qui en ressortent montrent à quel point une approche collaborative structurée permet d’organiser trois grands types d’activités faisant intervenir un grand nombre d’individus, mais où chacun joue un rôle précis et interdépendant de celui des autres. Même si ce n’est pas vraiment une surprise, il est remarquable à quel point ces principes de collaboration d’un autre milieu et d’une autre époque restent identiques à ceux qui s’expriment actuellement en éducation. Il se trouve d’ailleurs que ce contexte différent les met en valeur.

Pour creuser ces principes et se donner une idée de ce que peut être un contexte favorable à l’épanouissement d’une approche collaborative, le texte explore certains de nos documents de référence en éducation afin de déterminer à quel point le développement de compétences collaboratives est vraiment présent et peut soutenir l’objectif commun d’éducation inclusive. Comme elle demande aux milieux scolaires de prévoir à priori les besoins des apprenants, le défi est immense. Dans ce contexte transformationnel, la maxime « un pour tous et tous pour un » exprime assez bien la suite où sont successivement traités interdisciplinarité, pratique réflexive et leadership partagé. Trois ingrédients qui participent au développement continu et terrain du savoir-agir et du savoir-interagir compétent des acteurs impliqués.

Le texte se termine en transférant les constats précédents en FAD pour proposer une forme d’atelier qui s’appuie sur eux. Il débute en revenant sur le concept d’éducation inclusive pour l’élargir à ce mode de formation et montrer à quel point ce dernier s’y adapte bien. Il poursuit en proposant une forme d’atelier dont les modalités, l’approche pédagogique et les sujets choisis reproduisent la dynamique de résolution de problème et d’échanges d’une approche collaborative interprofessionnelle. La volonté est double : réfléchir à des problèmes réels à plusieurs tout en réalisant l’importance de faciliter l’émergence d’espaces de discussion de ce type pour aller chercher le plein potentiel des milieux. En effet, dans ce domaine encore plus qu’ailleurs, le vivre c’est le comprendre et le comprendre c’est le faire.

La conclusion rappelle comment la réflexion sur les responsabilités clés peut tirer profit de ce type d’atelier. Elle souligne comment la collaboration interprofessionnelle transforme les milieux en organisation apprenante en libérant leur potentiel d’innovation et d’apprentissage individuel et collectif autour d’un objectif commun auquel tous s’identifient. Elle s’achève sur un épisode historique d’actualité qui illustre la force que peut avoir ce type d’engagement. 

Une première dose d’histoire

Nous sommes à Athènes, grande cité antique du 5e siècle avant J.-C. Apparue à l’été de 430, la peste fait des ravages. Les victimes se comptent par milliers et la population est confinée dans les remparts de sa ville, laquelle est en plus assiégée par les Spartiates. Du haut de l’Acropole, nous observons avec intérêt les discussions hebdomadaires de l’Ecclésia (assemblée de 6000 citoyens) sur les origines possibles de ce mal qui frappe si durement la cité. Tous les citoyens (note 1) sont représentés, peu importe leur culture, région ou classe sociale. Ils veulent croire qu’ils ont toujours leur sort et celui de leur cité entre leurs mains. Les dix stratèges élus veillent au bon déroulement des échanges. Se succèdent des médecins, des militaires, mais aussi toute personne ayant un avis sur la question ou des propositions pour surmonter les nombreux défis logistiques, sanitaires et militaires. Quand un consensus se dégage pour une proposition, elle est soumise au vote à majorité simple de l’Ecclésia, présentée au public à l’Agora puis mise en place.

C’est tout ce passage à l’action issu d’une concertation autour d’un enjeu commun qui nous intéresse et pour lequel le fonctionnement de la démocratie athénienne donne des clés intéressantes : citoyens égaux et impliqués, assemblées systématiques, tours de parole structurés, expression des points de vue, discussion des propositions, consensus, vote.

Une deuxième dose de philosophie

C’est aussi en observant l’activité humaine 2500 ans plus tard que Hannah Arendt, une philosophe, publie en 1958 « La condition de l’Homme moderne ». Elle observe comment les activités humaines s’articulent pour nous permettre d’agir de façon durable en pensant ce que nous faisons. Sous la forme de trois grands types d’activités que sont le travail, l’œuvre et l’action, elle puise dans les fondements de la démocratie athénienne pour les étendre à notre condition humaine.

  • Travail : activités de création cycliques initiées par des besoins vitaux. Son produit est matériel et voué à être vite consommé. Il ne laisse donc au final aucune trace.
  • Œuvre : activités de création ponctuelles initiées par le libre arbitre humain. Son produit est matériel et voué à durer dans le temps. Elle laisse donc des traces.
  • Action : activités de confrontation d’idées dans une discussion libre entre acteurs égaux sans jugement les uns envers les autres. Son produit est immatériel car il représente l’élaboration d’un projet commun quand un consensus peut s’établir.

Comment articuler ces trois types d’activités pour agir durablement ?

Par exemple, dans leur projet de démocratie directe, les citoyens athéniens mettent sur un piédestal les activités politiques du type action. De l’ordre de l’esprit, elles sont de nature à les élever en leur permettant de participer à des activités autres que celles du type travail dévolues à l’unique satisfaction des besoins vitaux. Elles offrent un contexte public et structuré où ils se retrouvent périodiquement pour prendre en main leur avenir et décider conjointement de la meilleure façon d’agir ensemble. Leur libre implication est si valorisée qu’une indemnité est prévue pour ceux dont les fonctions civiques ou politiques handicapent leurs activités de type travail. Enfin, un greffier élu lit les propositions et note les décisions. Essentielle, cette activité de type œuvre officialise le processus en rendant possible tout suivi ou accès à l’information dans le temps. Archiver est d’autant plus crucial que les acteurs de la démocratie se renouvellent à des fréquences d’entre un jour et un an ! Donc, une fois que les besoins de base des acteurs concernés par un projet sont comblés par des activités de type travail, celles de type action leur offrent les conditions et l’espace requis pour échanger, réfléchir et s’adapter. Pour que ce projet puisse poursuivre son évolution par delà ses créateurs, des activités de type œuvre le « matérialisent » en produisant les traces documentaires requises pour assurer une transmission pérenne.

Quant à l’intérêt et au sens que le projet suscite chez ses acteurs, ils dépendent de l’équilibre entre les trois types d’activités en son sein. D’ailleurs, Hannah Arendt considère qu’il ne devrait y avoir aucune hiérarchie entre elles. Ainsi, même si la démocratie athénienne porte en haute estime les activités de type action, toutes sont présentes dans la pratique. C’est différent dans notre société de consommation où les activités de type travail sont très valorisées. À leurs produits périssables, s’ajoutent ceux à obsolescence programmée qui créent de nouveaux besoins plus superflus que vitaux, mais qu’il faut combler en travaillant plus. Le temps ainsi grugé manque pour la tenue d’activités de type action. Créatrices de relations, de questionnements, de remises en question, en un mot de sens, leur rareté alimente le cynisme, l’abstention et la perception que le changement n’est plus possible.

Une troisième dose de collaboration

Comme nous pouvons le remarquer à la lecture du tableau 1 (ci-dessous), que ce soit dans certaines des orientations de la Politique d’évaluation des apprentissages (Ministère de l’Éducation, 2003), dans les grands consensus de la Politique de la réussite éducative du Québec (MEES, 2017), dans une des dimensions du cadre de référence de la compétence numérique (MEES, 2019) ou dans certains référentiels comme ceux des enseignants (MEES, 2020), des conseillers pédagogiques (Guillemette et al., 2019), des conseillers d’orientation (CSSDM, 2018) ou des gestionnaires (MELS, 2008; AQCS, 2008; MELS, 2012), l’usage d’une approche collaborative impliquant l’ensemble des acteurs scolaires est clairement mis de l’avant et associé à l’atteinte de l’objectif commun qu’est la réussite de tous les apprenants. La collaboration étant une des quatre compétences du 21e siècle, il n’est pas étonnant de la retrouver dans la majorité des référentiels récents produits en éducation (Ann Hart et Ouellet, 2013).

L’enjeu 3 « Une adaptation à la diversité des personnes, des besoins et des trajectoires » de la Politique de la réussite éducative (MEES, 2017) propose trois orientations qui visent à accueillir la différence comme une occasion d’enrichissement de nos milieux éducatifs. Cet objectif commun, qui nous demande d’aider nos apprenants à atteindre leur plein potentiel, signifie qu’il est de la responsabilité des établissements scolaires de s’adapter à priori à eux et non l’inverse (Conseil supérieur de l’éducation [CSE], 2017, p. 5). La variété de leurs besoins (note 2) demande aux équipes-établissements de mettre au centre de leur engagement le souci de proposer des parcours d’apprentissage où le soutien nécessaire est là pour que chaque apprenant ou acteur scolaire puisse y trouver sa place (Curchod-Ruedi, 2013). Transformer nos pratiques pour passer d’une approche uniforme et rigide à une approche différenciée et flexible est un défi aussi stimulant que nécessaire (note 3) (Allenbach et al., 2016).

Les solutions concrètes à inventer touchent des problématiques d’accueil et d’orientation, organisationnelles, pédagogiques, technologiques, relationnelles et évaluatives de plus en plus complexes. Un acteur scolaire isolé peut n’apporter qu’une réponse limitée, ou pire se sentir dans un état dit de « non-savoir » (Le Boterf, 2011). Par exemple, s’il s’agit d’aider seul un apprenant en difficulté, le risque est réel de proposer une solution qui ne cible qu’une facette de sa globalité. C’est la construction concertée d’un portrait complet de l’apprenant qui aide les acteurs scolaires qui l’accompagnent à envisager des solutions mieux adaptées et durables (CSE, 2017, p. 106). Si nous comprenons bien « qu’il ne peut y avoir de compétence collective sans compétences individuelles », nous avons tendance à oublier « qu’il ne peut y avoir de compétence individuelle sans compétence collective ». Un acteur scolaire « peut de moins en moins être compétent tout seul uniquement avec ses propres ressources en connaissances, savoir-faire ou qualités personnelles ». L’interdisciplinarité est une voie plus efficace et ses résultats ont plus de chance d’être pertinents au final (Le Boterf, 2017).

C’est donc en développant nos compétences de collaboration interprofessionnelle dans nos milieux que nous pouvons améliorer l’interdépendance de nos disciplines et en tirer parti pour répondre à la diversité des besoins. Nos organisations scolaires représentant rarement un terreau assez fertile pour qu’une telle transformation s’enracine (Curchod-Ruedi, 2013; Bergeron et Granger, 2016; CSE, 2017, p. 6; Rousseau et al., 2019, p. 27), des « engrais » sont nécessaires. L’observation de différents milieux où certaines étapes (note 4) importantes sont franchies montre qu’une « pratique réflexive collective centrée sur l’analyse pédagogique » est une voie privilégiée dont voici certains « ingrédients » (CSE, 2017, p. 103).

  • Concernant le rapport à l’hétérogénéité des besoins.
    • Chaque enseignant croit que les apprenants ont toujours la capacité de réussir (« postulat d’éducabilité ») et eux-mêmes celle d’agir. 
    • Chaque enseignant sait qu’il dispose des compétences individuelles requises.
    • Chaque enseignant sait que l’équipe-établissement dispose des compétences collectives requises.
    • L’équipe-établissement et ses partenaires savent que la concertation et le partage de résultats de recherche liés à une analyse pédagogique de situations terrain aident à regrouper, bonifier et coordonner leurs expertises et leurs interventions.
  • Concernant la mobilisation.
    • Le gestionnaire sait que l’exercice de son leadership (note 5) cible la réalisation d’une vision qui s’incarne dans la mise en œuvre d’un langage et d’un projet éducatif communs centrés sur l’apprentissage et l’atteinte du plein potentiel de tous.
  • Le gestionnaire sait que l’exercice de son leadership cible un engagement, un questionnement et une prise de parole explicites avec ouverture, souplesse, cohérence et audace par rapport au changement.
  • Le gestionnaire sait que l’exercice d’un leadership pédagogique, participatif et partagé permet de garder le cap, d’alimenter une culture de collaboration par la convergence bienveillante d’expertises, et de miser sur une responsabilisation collective par l’engagement et la pratique réflexive régulière de tous.
  • Le gestionnaire sait que l’exercice d’un leadership organisationnel, participatif et partagé permet l’offre flexible d’espaces et d’horaires de rencontres de qualité (note 6), formelles ou pas.
  • Concernant le développement professionnel (note 7).
    • Le gestionnaire sait tenir compte des besoins terrain exprimés pour stimuler, soutenir et accompagner des activités de formation collectives et collaboratives.

Un gestionnaire dose ces « ingrédients » par l’exercice de son double leadership (note 8) qui le place tour à tour en posture de stratège, pilote, guide, accompagnateur ou administrateur. Dédié à façonner un milieu plus démocratique, il augmente la probabilité que ses acteurs scolaires se sentent assez concernés, outillés et compétents pour agir (Le Boterf, 2017). En effet, le leadership est un processus d’influence qui s’exerce sur le choix des objectifs, l’action des acteurs, la dynamique des relations, l’identité et la culture d’une organisation. Même teinté par la personnalité de l’individu, il dépend surtout de ses compétences (Brunet, 2016) et ne doit pas être vu comme le fruit d’une caractéristique « innée » (Pelletier, 2013). Il en est de même pour la capacité à collaborer qui peut être vue comme une compétence transversale à développer (Beaumont et al., 2011). Que ce soit pour les gestionnaires ou les autres acteurs scolaires, la transformation vers une éducation inclusive est un changement majeur de paradigme pour l’organisation scolaire qui décide de se lancer. Elle doit adopter une approche universelle en réponse à la diversité des besoins et une approche collaborative interprofessionnelle comme moteur interne de professionnalisation (note 9) et d’innovation. C’est l’évolution graduelle des compétences individuelles et collectives qui en résulte qui permet au leadership de se multiplier à tous les étages. Celui-ci se nourrit de l’autonomie croissante des acteurs scolaires concernés à condition que ceux-ci puissent la mettre en œuvre. C’est le cas lorsque le gestionnaire donne une couleur participative et partagée à son leadership.

Cette transformation entraîne donc le développement continu des compétences (note 10) des acteurs scolaires. À ce titre, des recommandations ont été faites pour revoir certains référentiels de compétences et ajuster l’offre de formation initiale et continue (CSE, 2017, p. 109; Fortier et al., 2018; Rousseau et al., 2019). En termes de modalités de formation continue, l’approche pédagogique employée doit amener les acteurs scolaires à questionner leur propre pratique professionnelle par l’adoption d’une posture réflexive (Fortier et al., 2018). Ainsi, même si un partage de pratiques gagnantes empiriques ou issues de la recherche est essentiel, il ne doit pas être effectué sans transfert associé à une action professionnelle sur le terrain et encore moins sans analyse pédagogique réflexive en rencontre interprofessionnelle (Bergeron et Granger, 2016). C’est dans cette veine pédagogique que se situent les simulations, études de cas, mises en situation et autres résolutions de problèmes recommandées comme pistes pertinentes pour développer de façon interprofessionnelle le savoir-agir et le savoir-interagir en situation (MEES, 2008; Bergeron et Granger, 2016).

Et la formation à distance dans tout ça ?

Le modèle des fonctions tutorales (tableau 2) proposé par le RÉCIT FAD comporte six fonctions qui représentent autant d’angles d’analyse qu’une équipe de FAD peut en utiliser pour identifier les forces et les défis de son service de FAD. Chaque fonction tutorale se décline en un certain nombre de responsabilités clés qui, lorsqu’elles sont assumées par l’équipe de FAD, favorise la réussite de tous les apprenants (Rustom, 2021).

L’enjeu 3 de la Politique de réussite éducative du Québec demandant aux organisations scolaires de s’adapter « à la diversité des personnes, des besoins et des trajectoires » résonne de manière toute particulière en FAD étant donné que ce mode de formation est historiquement associé à des valeurs humanistes s’incarnant dans la prise en compte de publics non traditionnels ou mal desservis par les systèmes d’éducation où elle est apparue (Forget-Dubois, 2020). C’est d’ailleurs pour rendre le savoir accessible au plus grand nombre que la TÉLUQ a été créée en 1972. Contrairement à ce que l’expérience pandémique ou les statistiques de réussite laissent trop souvent entrevoir, la FAD peut permettre à tous ses apprenants d’atteindre leur plein potentiel, mais encore faut-il leur offrir du matériel et un encadrement adéquats ! Par exemple, si concevoir un cours en FAD n’est pas une tâche facile, la conception universelle de l’apprentissage (CUA), qui fonctionne très bien dans ce mode de formation, peut aider à répondre par défaut à un grand nombre de besoins (Brassard, 2020). Plus généralement, le processus d’amélioration qui accompagne l’utilisation du modèle des fonctions tutorales peut être vu comme une démarche qui vise une transformation vers une éducation inclusive interprétée dans un sens élargi. 

En effet, notre démarche d’accompagnement vise à ce que des équipes collaboratives interprofessionnelles se mobilisent pour réfléchir aux caractéristiques du dispositif de FAD qui empêchent les apprenants d’atteindre leur plein potentiel. Les responsabilités clés à travailler sont mises en lumière à travers le prisme de la variété des besoins identifiés, qu’ils soient des limitations ou non. C’est pourquoi la notion d’inclusion s’élargit. Mais ce souci de « libérer » le dispositif de FAD des contraintes de ses apprenants n’est pas nouveau. Une de ses incarnations provient de l’élargissement du concept de distance (Jacquinot, 1993). Ainsi, assurer une présence dans la distance favorise la réussite et pour y arriver, il faut imaginer des solutions qui réduisent les six « distances » suivantes.

  • Distance spatiale : liberté de ne pas avoir à se déplacer.
  • Distance temporelle : liberté des moments d’étude et du rythme d’apprentissage.
  • Distance technologique : liberté de choix et de possibilités que procure les outils technologiques actuels (note 11).
  • Distance pédagogique : liberté de chaque individu concerné par la FAD de ne pas forcément être présent en même temps que les autres (note 12).
  • Distance socioculturelle : liberté d’apprendre tout au long de la vie malgré ses origines, son milieu, âge, emploi actuel et ses échecs scolaires ou professionnels.
  • Distance socioéconomique : liberté d’améliorer sa situation personnelle et sociale et plus largement, de faire fleurir tout le potentiel humain disponible dans nos sociétés.

Quand un établissement décide d’utiliser le modèle des fonctions tutorales pour réfléchir son service de FAD, le RÉCIT FAD recommande donc à la direction de former une équipe interprofessionnelle (note 13) dite élargie et de s’inscrire avec elle dans une démarche collaborative. Cette activité de type action (note 14) doit offrir aux acteurs scolaires « un lieu de structuration » pour leur « action collective » (note 15). Celle-ci est munie de « processus de communication, de décision, d’intervention et d’apprentissage » (Robidoux, 2007, cité dans CTREQ, 2018) centrés sur l’amélioration de l’exercice des responsabilités clés dans l’atteinte du plein potentiel de tous. Mettre en pause les activités de type travail est requis et la direction utilise son leadership organisationnel pour s’assurer de la création concertée d’un calendrier de rencontres réaliste et de conditions favorables à leur tenue. Cela inclut des activités de type œuvre pour installer, démocratiser et pérenniser une gestion de la connaissance produite (note 16) à laquelle la direction collabore en usant des ficelles de son leadership pédagogique.

Nos ateliers (note 17) modélisent cette dynamique collective en offrant de courtes mises en situation avec des acteurs et des contextes où une problématique réelle est vécue en FAD. Notre intention est de placer des sous-groupes interprofessionnels en situation d’équipe collaborative pour qu’ils vivent une résolution de problème structurée où leur expertise et intelligence collectives sont sollicitées. Cette activité de type action débute en approche inversée un mois en avance. Chaque participant peut rendre l’atelier plus pertinent pour lui en aménageant son horaire pour concilier sa contribution avec ses activités de type travail et des activités de type œuvre modélisent une gestion efficace des connaissances produites.

Conclusion

Notre accompagnement disposait jusque-là de ressources permettant l’appropriation du modèle des fonctions tutorales sur un mode plutôt transmissif bonifié par des occasions de partage et de discussions sur la réalité et le vécu en FAD (note 18). Alors que la tendance actuelle prône une plus grande collaboration entre les acteurs scolaires et la société au service de l’atteinte du plein potentiel de tous, notre accompagnement en FAD ne faisait qu’effleurer le développement du savoir-agir et du savoir-interagir en équipe interprofessionnelle. C’est pour remplir un tel besoin que nous offrons une forme d’atelier basée sur des mises en situation issues de problématiques terrain. En proposant la recherche et la planification commune de pistes de solution concrètes, nous nous inscrivons dans une veine plus professionnalisante où chaque acteur scolaire adopte une posture réflexive pour aiguiser son expertise sur celle des autres. L’approche aide aussi chacun à prendre conscience du potentiel d’innovation qui réside dans la capacité d’un groupe à résoudre des situations complexes et à améliorer son sentiment d’efficacité à la fois collectif et individuel (CSE, 2017, p. 108).

Cette capacité d’apprentissage à toutes les échelles se situe au cœur d’une organisation apprenante. En continu, elle rend l’organisation apte à s’adapter, à apprendre de ses erreurs, à optimiser l’implication de ses acteurs et à rester à l’affût de situations de développement qui l’aideront à pouvoir compter de plus en plus sur l’expertise de chacun, sur les aptitudes de l’équipe à collaborer et sur celles de ses membres à réellement apprendre ensemble (Lehoux, 2017; CSE, 2017, p. 108). Les occasions d’apprentissage en continu, le dialogue et le questionnement, la collaboration et l’apprentissage en équipe, la participation à la vision et aux décisions collectives, la gestion de la connaissance commune, la conscience et la prise en compte de son impact, et la présence d’un leadership stratégique dédié à l’apprentissage sont sept dimensions d’une organisation apprenante. Elles font que ses acteurs portent en eux une sorte de portrait réduit de leur organisation (Marsick et Watkins, 2003) et deviennent intrinsèquement des vecteurs cohérents de changement convaincus de pouvoir ensemble faire une différence. Cette lame de fond transformationnelle se nourrit d’autonomie et de responsabilisation. Il est donc logique de voir plusieurs recommandations du milieu scolaire pour plus d’autonomie institutionnelle et professionnelle (note 19) (CSE, 2021, p. 59). Pour soutenir cette transformation collective, il importe de maintenir l’équilibre entre trois types d’activité : action pour officialiser des pauses réflexion et innovation, travail pour appliquer les décisions tout en comblant les besoins de tous et œuvre pour bâtir une mémoire à jour et accessible.

Cinquante ans avant l’épisode de la peste, et contre toute attente, la population d’Athènes repousse les perses de Xerxès 1er à la bataille navale de Salamine. Il faut dire que quelques années auparavant, sous l’impulsion du stratège Thémistocle, les représentants citoyens de l’Ecclésia acceptent de voter un décret pour dédier les revenus d’une nouvelle mine d’argent à la construction annuelle d’une centaine de bateaux de guerre, les trières. Si de tels fonds auraient été habituellement partagés entre les citoyens, la volonté de se doter d’une force collective de protection maritime a primé. Cette décision de la jeune démocratie est difficile car elle implique un changement important de culture pour assurer sa survie. Ainsi, il faut passer d’une culture économique et militaire terrestre à une culture maritime. Cela demande de stimuler et d’organiser cette transformation par l’implication, l’innovation et la formation de tous au service de ce projet démocratique commun. Tout est très cohérent : la marine doit stabiliser l’empire pour alimenter en retour le fonctionnement de la démocratie et, plus fondamentalement, la survie d’une idée démocratique à laquelle tous adhèrent. Comme chaque trière requiert cent soixante-dix rameurs, impossible d’utiliser les soldats d’infanterie, les hoplites. Ce sont donc les citoyens les plus pauvres et les plus nombreux, les thètes, qui reçoivent démocratiquement cette responsabilité avec une petite solde pour service rendu à leur démocratie. Le poids politique de ce « petit peuple » va de pair avec l’essor naval de sa cité-état. Plus il pèse sur son devenir, plus sa participation s’officialise et plus son désir d’implication s’ancre intrinsèquement. L’expression de ce « sentiment d’appartenance » culmine à la bataille de Salamine lorsque trois cents trières athéniennes font face à plus de mille deux cents bateaux perses. L’étroitesse du détroit dans lequel ils ont attiré la flotte perse, les innovations dans la conception de leurs trières et de leurs stratégies navales d’attaque, l’abandon d’Athènes menacée par l’immense armée perse pour sécuriser la population civile sur l’île de Salamine et ce choix délibéré de tout miser sur ce face à face maritime disproportionné montrent à quel point, à ce moment-là, tous s’identifient à cet esprit de liberté que porte en son sein leur projet démocratique, et pour lequel ils décident de mettre ensemble leur vie en danger. Hérodote, historien et géographe grec de l’époque, dira en substance que « soumis à des tyrans, les Athéniens ne valaient pas mieux à la guerre que leurs voisins, mais, libérés de la tyrannie, leur supériorité fut éclatante ».

C’est ainsi que, deux mille ans plus tard, l’histoire de l’Europe et ses leçons oubliées trouvent un tragique plaisir à se rappeler à nos mémoires alors que nous assistons, « ficelés dans nos paquets de viande » (note 20), à un nouvel épisode de ce combat que nous croyions d’un autre âge (note 21). Comme il y a du bon en tout, il nous offre une vibrante piqûre de rappel sur le fait que tout dépend de nous et de notre capacité à nous parler, à ne pas nous juger, à travailler de façon active pour mettre en place les conditions pour construire une confiance commune et miser sur une véritable interdépendance afin d’atteindre notre plein potentiel comme individu, équipe, établissement, gouvernement, société, pays et humanité.

 

Notes du texte :

  1. Homme libre adulte ayant fait son service militaire fils d’un citoyen et d’une mère fille d’un citoyen.
  2. Milieux familiaux, réalités sociales, situations financières, champs d’intérêt, maturité, stratégies d’apprentissage, rythmes d’apprentissage, aptitudes.
  3. En effet, « être exclu d’une participation significative à la vie économique, sociale, politique et culturelle de la collectivité est l’un des plus graves problèmes auxquels sont confrontés les individus dans la société contemporaine. Cela n’est ni judicieux ni souhaitable. » (UNESCO, 2005)
  4. Présentée comme une responsabilité des établissements scolaires pour satisfaire l’enjeu 3 de la Politique de la réussite éducative, cette transformation continue peut se décomposer en trois étapes progressives (CSE, 2017, p. 5). Elles impliquent le passage d’une situation où chaque apprenant s’adapte aux services offerts (intégration scolaire), à une situation inversée où les services offerts s’adaptent à chaque apprenant (inclusion scolaire) et, finalement, à une situation où les services offerts s’organisent en amont pour s’adapter à priori à tous les apprenants (éducation inclusive).
  5. En éducation, une définition possible du leadership serait un « processus par lequel un individu exerce une influence sur d’autres personnes afin qu’elles comprennent et partagent sa vision de ce qui doit être fait et de la manière de le faire » (Schermerhorn, et al., cité dans Curchod-Ruedi, 2013)
  6.  Inscrit dans l’organisation interne de l’établissement scolaire (CSE, 2017, p. 105).
  7. Une réflexion en équipe collaborative du développement professionnel est l’occasion d’adopter un regard réflexif, de donner du sens et de prôner le passage à une action concertée (Rancourt, 2021).
  8. Pédagogique et organisationnel.
  9. La professionnalisation vise l’amélioration du processus par lequel un professionnel agit de manière pertinente, compétente et responsable en situation. Ce processus est un savoir-agir compétent car il implique les concepts de prise de décision et d’éthique. La confiance accordée à un professionnel naît de sa capacité à prendre des décisions responsables au bon moment en mobilisant son savoir-faire, c’est-à-dire en combinant judicieusement « des ressources internes (personnelles) et externes (son environnement) » pour faire face à la situation. La collaboration interprofessionnelle fait intervenir des collègues parmi les ressources externes. Le savoir-agir compétent n’est plus suffisant. Il faut aussi un « savoir interagir pertinent » (Le Boterf, 2011, 2017). Selon ce modèle, la formation continue peut aider à l’acquisition ou au développement de ressources, de combinaisons de ressources ou de pratiques professionnelles en situation de travail (Le Boterf, 2019).
  10. Une nouvelle compétence sur l’équité, l’inclusion et la justice sociale a été récemment ajoutée à l’intention des gestionnaires scolaires, pour combler un certain manque au sein des référentiels Ministériel ou « locaux » existants (Larochelle-Audet, 2020). De plus, la nouvelle version du référentiel de compétences professionnelles pour la profession enseignante répond aux exigences d’éducation inclusive pour tous (MEES, 2020).
  11. Ne signifie pas, pour le dispositif, de devoir supporter une multiplicité d’outils de même nature.
  12. La manière de gérer cette absence possible de l’enseignant, des apprenants, des apprenants les uns par rapport aux autres représente un défi important dans la conception pédagogique des contenus d’apprentissage et dans les interactions de coordination, d’animation et de médiation de l’enseignant. Comme cette absence ne peut être totalement supprimée, il faut compenser.
  13. Dans une approche collaborative interprofessionnelle en FAD, différents acteurs scolaires issus d’au moins deux groupes professionnels peuvent être sollicités sur une base régulière ou ponctuellement selon les sujets traités. Cela peut inclure des gestionnaires, enseignants, conseillers pédagogiques, conseillers d’orientation, orthopédagogues ou secrétaires, et plus largement des professionnels des services complémentaires et des représentants du personnel administratif ou même des apprenants.
  14. Selon Hannah Arendt, trois types d’activités humaines existent : travail, oeuvre et action. Voir « Une deuxième dose de philosophie » pour plus de précisions.
  15. C’est aussi une façon gagnante de formaliser une collaboration informelle existante souvent peu reconnue (Beaumont et al., 2010; Gaudreau et al., 2008, cités dans CTREQ, 2018).
  16. Acquisition, création, raffinement, stockage, transfert, partage et utilisation de la connaissance sont les processus impliqués dans la gestion des connaissances (Lehoux, 2017).
  17. Adaptés de D. Marsolais, T. Léonard et C. Rustom, comité de coordination CoP-CAR, CSS de Laval.
  18. Témoignages et résumés en vidéo, webinaires, ressources textuelles et outils informatifs ou de réflexion d’équipe, rencontres de soutien périodiques à la demande, rencontres d’échanges sur les réalités du terrain et atelier d’exploration et de discussion modélisant l’utilisation d’un outil.
  19. Des directions d’établissement, aux enseignants, à l’ensemble des acteurs scolaires incluant les apprenants, tous doivent avoir des espaces collectifs de responsabilisation avec l’accompagnement requis pour pouvoir s’en servir dans l’atteinte du plein potentiel de tous.
  20. Léo Ferré
  21. Invasion de l’Ukraine par la Russie.

 

Ressources créées par :

  • Cyrille Rustom, conseiller pédagonumérique du service national FAD pour la FGA (courriel, site Web)
  • Marie-Ève Ste-Croix, conseillère pédagonumérique RÉCIT FGA (courrieltwitter, site Web)

Remerciements particuliers :

  • Sonia Boulais, technicienne en arts graphiques (CSSMI)

Si vous souhaitez plus d’informations sur ces ressources ou si vous souhaitez ajouter quelque chose à cette céramique, veuillez contacter l’un des conseillers mentionnés ci-dessus. Toutes les ressources doivent être réutilisées et partagées conformément à la licence Creative Commons suivante : CC BY-NC-SA 4.0