Avant de débuter la lecture…

Est-ce une bonne idée de déterminer le style d’apprentissage de chaque apprenant?
Est-ce vrai qu’on utilise seulement 10% de notre cerveau?
Quel impact a la pyramide d’apprentissage sur l’apprenant?
Qui sont les « digital native »?

Les mythes en éducation

À l’instar de la médecine, l’éducation tente de plus en plus de s’appuyer sur la recherche. Au courant des années 90, le pédagogue Hargreaves (1996) soulève que malheureusement, l’enseignement n’est pas basé sur la recherche. Il était alors convaincu qu’en s’appuyant sur celle-ci, enseigner serait plus efficace et plus satisfaisant. Ce sont alors les premiers pas de L’evidence-based education (EBP), ou l’éducation basée sur les données probantes.

Les données probantes permettent de mettre en lumière les pratiques gagnantes, mais aussi celles qui ne le sont pas! Encore aujourd’hui, plusieurs fausses croyances circulent abondamment dans le milieu de l’éducation. Comme des légendes urbaines, ces neuromythes font partie de notre univers et il devient parfois ardu de séparer le vrai du faux. 

Parmi les plus tenaces, quatre grands mythes se doivent d’être déboulonnés puisqu’ils sont, encore aujourd’hui, largement véhiculés dans nos milieux, voire même dans les universités. 

Mythe 1 : Les styles d’apprentissage 

La vision de plus en plus répandue de l’unicité des individus, le souci de l’inclusion et le souhait d’adapter les approches éducatives à ces valeurs peuvent mener à considérer l’approche des styles d’apprentissage comme étant une avenue intéressante pour tenir compte des particularités individuelles des élèves dans la réussite éducative.

Apparue au courant des années 70, l’hypothèse selon laquelle les apprenants possèdent un style d’apprentissage auquel il convient de se conformer est, encore aujourd’hui, présente en éducation. Il existe de nombreuses définitions du concept, toutes teintées par l’angle de la recherche à laquelle elles se rapportent. Selon Legendre (1993) le style d’apprentissage est: «un mode préférentiel modifiable via lequel le sujet aime maîtriser un apprentissage, résoudre un problème, penser ou, tout simplement, réagir à une situation pédagogique. Cette caractéristique propre à chacun se traduit par une orientation marquée vers les personnes ou vers les tâches, par des capacités perceptuelles différentes, par une sensibilité plus ou moins grande à un encadrement extérieur, par une propension à travailler seul ou en équipe, par une préférence pour un enseignement structuré, etc.».

Plusieurs études se sont intéressées à l’impact de l’utilisation de cette méthode après des apprenants. Dans leurs études des publications scientifiques à ce sujet,  Coffield, Moseley, Hall et Ecclestone ont relevé 71 différents modèles de styles d’apprentissage! À la suite de l’analyse de 13 de ces modèles, ils ont conclu à « une faible fiabilité, une faible validité et un impact négligeable sur la pédagogie». À la lumière de ces conclusions, ils ont fait la recommandation de cesser l’utilisation de ces modèles.

L’Association for Psychological Science  a aussi publié un rapport sur la validité scientifique du concept des styles d’apprentissage. Pashler et al. (2008) ont conclu qu’« à l’heure actuelle, il n’y a pas de base de preuves suffisantes pour justifier l’incorporation des évaluations des styles d’apprentissage dans la pratique éducative générale. Ainsi, les ressources d’enseignement limitées seraient mieux consacrées à l’adoption d’autres pratiques pédagogiques qui ont des preuves solides, et dont il existe un nombre croissant.»

Les détracteurs de l’hypothèse des styles d’apprentissage font mention, pour la plupart, du manque de recherches indépendantes pour appuyer les fondements de ces modèles. À ce titre, la psychologue Lynn Curry relève le fait que l’impression et la commercialisation de questionnaires d’autoévaluation ont été faites de façon prématurée et avec comme appui des résultats préliminaires et basés sur une faible quantité de données. 

Même si la recherche ne reconnaît pas les styles d’apprentissage parmi les pratiques d’enseignement probantes, la croyance demeure tenace et actuelle. En effet, selon la recension de Newton et Salvi (2020), 89,1 % des 15 045 éducateurs, interrogés de 2009 à 2020, ont déclaré croire que les individus apprennent mieux lorsqu’ils reçoivent des informations dans leur style d’apprentissage dominant.

Les effets pervers de cette croyance sont, quant à eux, non négligeables. Effectivement, comme le mentionne Newton (2020), passer du temps à essayer de faire correspondre un étudiant à un style d’apprentissage pourrait être une perte de temps et une mauvaise utilisation des ressources humaines. De plus, cette façon d’aborder l’apprentissage pourrait avoir comme effet de réduire l’horizon des élèves en leur faisant croire que leur profil d’apprenant les éloigne de certaines de leurs aspirations. Par exemple, un élève qualifié de visuel pourrait croire qu’il est inutile de poursuivre ses études en musique, car il ne possède pas le profil y étant associé.

Évidemment, la théorie selon laquelle tous apprennent de façon différente tient toujours la route. Offrir aux élèves des occasions de développer leur métacognition en les amenant à se questionner sur les approches leur permettant de maximiser leurs apprentissages est toujours un aspect essentiel du rôle des enseignants. De même, l’enseignant doit tenter d’adapter ses pratiques pour rejoindre un maximum d’élèves. Offrir des choix et permettre aux élèves d’expérimenter différentes modalités d’apprentissage et d’enseignement demeure donc un excellent investissement et permet à l’adulte tout comme l’enseignant, de différencier les pratiques de contenu, de structure, de processus et de production.  

 

Mythe 2 : Le cerveau utilisé seulement à 10%

La croyance selon laquelle nous n‘utilisons que 10% de notre cerveau est probablement le neuromythe le plus ancien. Hughes et al. (2013) ont même mis en évidence que ce mythe est l’un des plus répandus dans la population. Cette thèse a d’ailleurs largement alimenté la culture populaire en servant d’inspiration à de nombreux films où le personnage principal, en accédant au 90% inexploité de son cerveau, doit maintenant gérer des capacités et des pouvoirs merveilleux! Même constat dans le domaine de l’édition, tant du côté des romans que du côté des ouvrages de psychologie populaire.  

L’origine de ce mythe demeure mystérieuse. Bien qu’aucune preuve ne vienne le confirmer, certains l’attribuent à des interprétations erronées d’une citation d’Albert Einstein ou de William James, philosophe et psychologue américain.

Cette conception de la sous utilisation de notre cerveau a été réfutée par le neuroscientifique Barry Beyerstein (1999). Son argumentaire se basait sur plusieurs faits, dont les suivants:

  • Si 90% du cerveau est inutilisé, alors les lésions cérébrales auraient bien peu de chances d’en altérer le fonctionnement. Or, il n’existe pratiquement aucune zone où une lésion ne résulte pas en des incapacités. Même une légère lésion dans une toute petite région peut avoir des conséquences dévastatrices.
  • Si nous n’utilisons que 10% de notre cerveau, pourquoi a-t-il conservé sa taille au fil de l’évolution? Pourquoi le processus de sélection naturelle n’a pas éliminé les cerveaux moins efficaces? Le fonctionnement du cerveau nécessite 20% de l’énergie corporelle alors qu’il représente seulement 2% de notre masse corporelle. Un cerveau plus petit et plus efficace représenterait un important avantage sélectif.
  • Les technologies médicales actuelles d’imagerie permettent un suivi de l’activité cérébrale très précis. Elles ont mis en évidence que nous utilisons l’ensemble de notre cerveau, sans toutefois utiliser toutes les zones en même temps. Seules les zones qui ont été victimes de lésions graves demeurent inactives.
  • Ces mêmes technologies ont permis la cartographie du cerveau. À ce jour, aucune zone sans activité n’a été répertoriée.
  • Nous savons que les cellules du cerveau qui ne sont pas utilisées ont tendance à se dégénérer. Advenant le cas où 90% de notre cerveau serait inutilisé, l’autopsie de cerveaux des adultes aurait dû révéler une dégénérescence majeure de celui-ci, ce qui n’est évidemment pas le cas.

Bien que les arguments soulevés par Beyerstein semblent être des évidences, selon Dekker et al. (2012) 50% des enseignants du primaire et du secondaire de diverses origines croient encore que cette hypothèse est toujours valide.

Encore aujourd’hui, malgré les millions de travaux et de recherches effectuées sur le cerveau, la portion non utilisée permettant de valider la théorie du 10% n’a pas encore été trouvée! Véhiculer ce neuromythe pourrait donc amener l’adulte à croire qu’il ne possède les outils cognitifs nécessaires pour développer des compétences.

Mythe 3 : La pyramide de l’apprentissage

Bien peu de gens savent de quoi il est question quand on parle du cône de Dale aussi appelé cône de l’expérience. Par contre, nous avons tous déjà été exposés à des énoncés du type: «nous retenons 10% de ce que nous lisons, 20% de ce que nous entendons, 30% de ce que nous voyons, 50% de ce que l’ont voit et entend, 70% de ce qu’on dit et écrit et 90% de ce que l’on fait» !

Ces énoncés quantifiant notre rétention des informations ont une origine bien nébuleuse. En 1946, Edgar Dale publie le «Cône d’expérience» dans son livre sur la façon d’intégrer du matériel audiovisuel dans l’expérience d’apprentissage en classe: Audio-visual methods in teaching. Cette représentation graphique ne comporte toutefois aucune valeur numérique, puisqu’elle sert à mettre en ordre les expériences de la plus concrète à la plus abstraite.

Source : 3e édition d’Audio-visual methods in teaching datant de 1969.

Quelques clics dans un moteur de recherche suffisent pourtant à mettre en lumière des dizaines de graphiques présentant le cône, souvent transformé en pyramide, auquel on a associé des pourcentages. Plus curieux encore, les pourcentages et libellés varient d’une représentation à une autre! 

Plusieurs chercheurs ont mis des efforts à démêler le vrai du faux dans ce qui semble être une version démesurée du «Jeu du téléphone». Michael Molenda, professeur à l’Université de l’Indiana, est l’un de ceux qui ont travaillé à retrouver l’origine de ces données numériques. Avec Subramony et al. (2014) ils ont conclu que les données numériques associées au graphique de Dale ne sont en lien avec aucune littérature scientifique. Ils soulèvent aussi que les nombres, curieusement tous multiples de 10, que l’on a associés aux diverses représentations de la pyramide, ont bien peu de chances d’avoir été obtenus à la suite de recherches réelles et rigoureuses. 

Normand Baillargeon (2014), docteur en philosophie et en éducation,  fait le même constat. Il se questionne aussi sur le sens qu’on doit donner à ces données «10% de ce qu’on lit [] Comment a-t-on défini ce qui est compté? Peu importe ce qu’on lit? Des romans, de la poésie, de la physique, un menu? Peu importe aussi ce qu’on sait avant de le lire? Peu importe pour quelle raison on lit?». Il pousse aussi la réflexion jusqu’à questionner le fait qu’il serait étonnant que ce constat s’applique à tous les apprenants, peu importe leur âge.

Johanne Rocheleau (2011), corrobore les dires des autres chercheurs. Elle précise par contre que la pyramide de l’expérience de Dale n’est pas à balayer du revers de la main: « le principe sous-jacent est le suivant : plus nombreux sont les sens impliqués dans le traitement de l’information, plus le cerveau est sollicité et plus il y a de traces d’apprentissage, donc un meilleur réseau neuronal qui s’inscrit dans le cerveau. » 

Activer son cerveau en utilisant le plus de sens possible est donc un moyen actif d’apprendre. Si on y combine aussi la discussion, le partage et les échanges, la compréhension et la rétention n’en seront que bonifiées.  Il convient donc, encore une fois, de s’assurer de varier les méthodes d’enseignement pour permettre aux apprenants de maximiser leurs apprentissages.

Mythe 4 : Les «digital native»

C’est en 2001 que Marc Prensky expose le concept des «digital natives» et des «digital immigrants». Les «natifs du numérique» étant les jeunes qui sont nés et ont grandi à l’ère du numérique en étant exposés aux ordinateurs, consoles de jeu, tablettes et téléphones intelligents. Leur opposé étant les «immigrants du numérique» qui ont dû s’adapter à leur nouvel environnement avec l’arrivée massive de la technologie numérique. Selon lui,  les apprenants  natifs du numérique pensent et traitent l’information fondamentalement différemment de leurs prédécesseurs. Ils utilisent les technologies de façon instinctive et auraient aussi une facilité marquée à gérer le multitâche.

Comme encore beaucoup d’enseignants sont des immigrants du numérique, leur façon d’enseigner ne serait donc pas adaptée à leurs élèves selon Prensky. Comme les natifs du numérique ne feront certainement pas marche arrière, il suggérait aux enseignants de reconsidérer à la fois leurs contenus et leur méthodologie. 

Le concept des digital natives demeure très controversé. Jean-François Cerisier (2012), enseignant et chercheur en Sciences de l’Information et de la communication à l’Université de Poitiers reproche entre autre à cette ligne de pensée, le fait de ne pas tenir compte des différences sociales. En effet,  l’appropriation des technologies dépend des déterminants socioéconomiques.

L’anthropologue Pascal Plantard résume sa pensée sur le sujet dans un article du journal Le Monde (2018): «c’est ce que j’appelle le complexe d’Obélix. Sous prétexte qu’on serait tombé dedans tout petit, il n’y aurait pas besoin de formation. C’est totalement absurde». L’étude de Bruyckere et Kirschner (2017) vient d’ailleurs supporter cette vision. Selon eux, les connaissances en informatique des personnes nées après l’arrivée massive du numérique ne seraient pas si élaborées qu’on peut le croire. Ils précisent: « les jeunes ne possèdent pas de compréhension particulièrement approfondie et fine de la technologie ». Dans cette étude, les ils expliquent que « leurs connaissances sont souvent très superficielles et se cantonnent à l’utilisation d’applications de bureautique, d’une boîte mail, d’applications de messagerie instantanée, de Facebook et d’un navigateur », bref une utilisation définie comme plutôt récréative.

À la suite de leurs recherches, Bruyckere et Kirschner se positionnent aussi en désaccord avec l’idée du «multitâche» selon laquelle les plus jeunes auraient des habiletés leur permettant de réaliser plusieurs tâches à la fois. Et ils ne sont pas seuls. Le psychiatre américain Edward Hallowell expliquait au New York Times en 2008 que «le multitâche consiste à déplacer rapidement son attention d’une tâche à une autre. On a alors l’impression de travailler simultanément, mais ce n’est pas vraiment le cas.  C’est un peu comme jouer au tennis avec trois balles!». Selon lui, nous avons l’illusion de diviser notre attention, mais il s’agit en fait d’aller-retour d’une tâche à une autre. Plus encore, dans une publication de 2006, il précisait déjà ses inquiétudes face à la présence accrue des technologies numériques chez les jeunes. Il craignait déjà qu’à force de surstimulation ils en perdent leur capacité de concentration.

À la lumière de toutes ces informations, il ne convient pas de considérer les apprenants de nos milieux comme ayant besoin d’une approche pédagogique complètement différente de celle des générations précédentes. Les approches pédagogiques sont amenés à évoluer, mais les stratégies d’enseignement conventionnelles ne sont pas à abandonner.  Il ne faut pas oublier que c’est la génération «immigrante» qui a créé l’univers numérique!   En plus des matières de base, toujours actuelles, il est important de permettre aux élèves de développer leurs compétences numériques au-delà des compétences récréatives. Si nous ne leur donnons pas une éducation numérique structurée et formelle, ils ne seront pas en mesure d’être outillés pour développer leur potentiel numérique en tant qu’apprenants, citoyens et salariés. Dans la sphère numérique comme ailleurs, il est primordial de ne jamais supposer que les élèves “savent”, l’enseignement explicite demeure incontournable.

Conclusion

Malgré le fait que les neuromythes demeurent encore largement répandus, les enseignants des écoles francophones du Québec y adhèrent moins qu’ailleurs dans le monde (Blanchette et al. 2019).

Pour demeurer objectifs devant les nombreuses approches pédagogiques qui nous sont proposées, inclure un cours de neuroéducation dans la formation de base des enseignants et autres intervenants scolaires semble une avenue intéressante (Masson 2013). En plus de développer leur sens critique, un tel cours leur permettrait de mieux comprendre le fonctionnement du cerveau de leurs élèves. Combiné à des connaissances de base pour évaluer la valeur scientifique des sources d’information, les futurs enseignants n’en seront que mieux outillés pour demeurer critiques mais ouverts. Qui sait, les principaux mythes en éducation feront peut-être un jour partie des légendes…

 

 

Bibliographie

Baillargeon, N. (2014, avril 16). 10% de ce qu’on lit ? Voir. https://voir.ca/chroniques/prise-de-tete/2014/04/16/10-de-ce-quon-lit/

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Cerisier, J.-F. (2012, avril 22). Quand Marc Prensky enterre trop vite les digital natives. Les blogs de l’Université de Poitiers. Retrieved juin 18, 2021, from http://blogs.univ-poitiers.fr/jf-cerisier/2012/04/22/quand-marc-prensky-enterre-trop-vite-les-digital-natives/

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Ressources créées par :

  • Karine Martin, orthopédagogue pour l’Équipe-choc des Services éducatifs complémentaires (courriel, site Web)
  • Karine Jacques, orthopédagogue pour l’accompagnement national des Services éducatifs complémentaires en FGA-FP (courriel, site Web)

Remerciements particuliers :

Si vous souhaitez plus d’informations sur ces ressources ou si vous souhaitez ajouter quelque chose à cette céramique, veuillez contacter l’un des conseillers mentionnés ci-dessus. Toutes les ressources doivent être réutilisées et partagées conformément à la licence Creative Commons suivante : CC BY-NC-SA 4.0